Archive pour 19 janvier 2009

Livre : Makine retourne en URSS

Lundi 19 janvier 2009

Le dernier roman d’André Makine confronte la Russie d’aujourd’hui et celle de la période soviétique. Un auteur russe exilé à Paris revient dans un St Petersbourg bouillonnant pour son tricentenaire et retrouve sous le vernis moderne et capitaliste les blessures profondes de l’URSS.

La Russie est une Atlantide souvent magnifiée en objet littéraire par ses auteurs en exils. C’est Tchékhov, bien sûr, mais aussi les samzdat, Nabovov et l’Archipel du Goulag. Exilé depuis de longue années à Paris où il vivote de son art d’écrivain raté et se nourrit de son mépris pour la littérature contemporaine, Choutov chérit une image distordue, de sa Russie natale. Quinquagénaire, il partage cette image figée de sa patrie avec Léa, une jeune provinciale ambitieuse montée à Paris. Lorsque Léa le quitte, Choutov n’arrive pas à se remettre de cette mort annoncée d’un amour faussé. Il décide alors de retourner dans son pays pour y retrouver sa première flamme, Iana.

Mais il tombe dans un St-Petersbourg en pleine effervescence, fêtant avec tambours et beaucoup de mauvais goût son tricentenaire. La jeune adolescente timide qu’il avait laissée pour fuir à Paris s’est transformée en parfaite capitaliste, dents longues, apparence parfaite, et débordements postmodernes à la clé. Choqué et amusé par ce nouveau pays où il ne retrouve ni ses marques, ni sa jeunesse, il rencontre par hasard dans l’appartement de Iana Volski, un vieil homme apparemment sourd et muet, que la jeune-femme envoie à l’hospice pour récupérer tout l’espace. Lors d’une veillée devant la télé, Volski se met à parler et transmet à Choutov en quelques heures l’histoire d’une vie banale et terrible à la fois : front russe, famine, hécatombes et goulag ont été le quotidien de cet homme soviétique comme les autres. Mais un amour profond a éclairé son ciel sans Dieu et sans idéal. Le pèlerinage de Choutov (qui veut dire Clown en russe) lui permet de découvrir une réalité russe qu’il n’attendait pas, bien moins littéraire et bien plus vivante que ce qu’il attendait. Mises en perspective, les amours malheureuses de l’écrivaillon russe-parisien semblent dérisoires.

Déroutant par sa structure le récit commence par se pencher sur la vie vide de Choutov pour nous emmener plus tardivement vers son cœur battant : « La vie d’un homme inconnu » en Russie soviétique. Avec intensité et simplicité, on y apprend que malgré la faim, l’injustice, et même la mort banalisée, un homme peut-être plus heureux dans un goulag à regarder vers le ciel pour y communier avec son amour que dans un salon au chaud à regarder la télé et les millions de possibilités de jouissances qui s’offrent à lui. Immense styliste, Makine mêle empathie, pudeur, et humour dans ce très beau roman. Peut-être suggère-t-il un fil rouge de continuité historique dans cette fameuse « âme russe » qui est entrain de se perdre dans l’orgie d’un peuple affamé de biens matériels. Mélancolique, grave, et passionnée, cette âme a peut-être su quitter les saynètes provinciales de Tchékhov et survivre au régime stalinien. Elle aurait continué à fouiller au-delà des apparences et des idéaux trahis pour garder l’humain en l’homme, malgré tout.

André Makine, « La vie d’un homme inconnu », Seuil, 21 euros.

« ‘ Vous savez, je n’en veux pas à votre amie Iana, dit le vieillard et il repose sa tasse sur la table de nuit. Ni aux autres, non plus. Ce qu’ils vivent après tout n’est pas enviable. Vous imaginez, il leur faut posséder tout cela !’

Sa main fait un large geste et Choutov voit clairement que ce ‘tout cela’ c’est le nouvel appartement de Iana mais aussi ce long écran du téléviseur et ce reportage sur l’élite russe installée à Londres, leurs hôtels particuliers et leurs résidences de villégiature, et ce cocktail où ils se retrouvent entre eux, et toute cette nouvelle façon d’exister que Choutov ne parvient pas à comprendre.

‘Nous avons eu finalement une vie si légère ! dit le vieil homme. Nous ne possédions rien et pourtant nous savions être heureux. Entre deux sifflements de balles, en quelque sorte…’

Il sourit et ajoute sur un ton de boutade : ‘Non mais regardez ces pauvres gens, ils souffrent ! » p. 276

Mes pas dans la neige suivent tes pas, Mon Dieu que n’ai-je?

Lundi 19 janvier 2009

Oui. Keren Ann, parfaitement, pour clôturer ce joyeux week-end de retour chez moi. Central Park est blanc un peu mimi-cracra et les adultes perdent des décennies en se jetant de la neige au visage. Mes jours sont studieux même s’ils commencent tard pour rattraper mes nuits houleuses.

Hier, première vraie scène italienne de ma vie, au milieu de Broadway. Des cris, des grands gestes, des mots d’une violence inattendue, incongrue, mortifiante.  Il manquait juste le linge suspendu aux fenêtres mais il fait trop froid. Je suis passée par le calme décidé, la colère, la rage, le désir, et la tendre empathie. Saisie par la souffrance qui irriguait cette réaction démesurée, je suis cependant restée spectatrice d’une pièce de théâtre:  paralysée par la parodie de ce qui est mort dans l’oeuf. “Always one foot on the ground”, je deviendrais presque froide, détachée, et même pire indifférente. Bref tout ce qui me fait peur.  J’ai aussi pour la première fois depuis des mois rencontré un ressentiment contre tout ce que je suis, socialement et de caractère. L’erreur est trop grande pour ne pas être intéressante.

Sur une note plus légère, après avoir retrouvé ma gym de chelsea, vendredi, je suis enfin allée voir de aronowsky sur le lutteur avec mickey rourke et n’ai pas été déçue avant de faire une tournée des boîtes gay de la ville : 12/20 au Chelsea Hotel, et un bon 15/20 pour le bar-boîte sympathique de Hellskitchen, Vlada.

Samedi, concert de Jazz au Cachaça avec un ami de Paris, et choc du retour vers le futur à une soirée de doctorants en littérature. Comme lors de mes 19 ans, ils sont déguisés et jouent les potaches au bal de prom en buvant des bières, un vin absolument impossible et truffent leurs pas de danse de références à des théoriciens. Suis-je fatiguée, rabat-joie,  ou ai-je passé l’âge?

Eve est de retour en ville et nous avons fêté ça comme il se doit (et avec beaucoup trop de BON vin)  chez Pastis, précédé du bar à vin cosi “the Turk and the frog”, et suivi de wagon de train art déco type orient express : “Employees only”.

Ces trois endroits chacun dans leur genre sont résolument ce que les new-Yorkais appellent des “scenes” du west-village, traduisez, “où ça se passe”. Je fonds quand, enthousiaste de Lisbonne et de ses belles personnes, mon cher ami Danny chuinte les S pour me dire que “We’ll take over the portuguezchhhee cheeeene in New-York”.

Il est temps d’aller me coucher après avoir bu jusqu’à la lie la prose violacée et qui se veut limite de Chloé Delaume.