Archive pour 16 janvier 2009

Contingences maternelles

Vendredi 16 janvier 2009

Home sweet home, me voici de retour à New-York qui ressemble au Tibettepisch de Else lasker-Schüler, baroquement grisonnant de neige moelleuse. C’est étrange de monter et descendre Broadway, de dîner en habituée chez Toast, et de retrouver mes petites habitudes de vieille fille. J’ai l’impression de pourvoir enfin me poser, même si ce n’est que pour trois semaines. Dame de pique appliquée, j’ai tenté de résoudre toutes les contingences maternelles ce matin, après une nuit de long sommeil à peine dérangée par un chaud bienvenue et un bouquet de fleur. Ma valise déjà défaite est dans le placard qui se remplit peu à peu de mes vêtements de coquette, les livres sont harmonieusement jonchés sur le sol, et les frigo est plein (pastrami, salade, frozen yogurt, coca lights et d’affreux bonbons sans sucre). Mais ma plus grande fierté est l’acquisition d’une grande couette blanche (qui se dit efficacement “comforter”) que j’ai mis vint bonnes minutes à faire entrer dans sa housse crème (ici on dit “off white”). Cet achat fait partie d’un très sérieux plan anti-froid initié dès mon arrivée à Paris. Il va de paire avec des collants woolford en cachemire, deux puls doubles de cette matière magique, la décision de plonger dans un bain brûlany au moindre frisson, et d’ingurgiter des litres de jus de fruits bourrés de vitamine C (en France on se contente d’orange, mais ici le must c’est l’acérola).

Du coup, boostée par cette nouvelle chaleur et un après-midi d’hibernation sous ladite couette à re-lire encore et encore Max Jacob, j’ai répondu oui avec enthousiasme pour dîner avec mon ami james et courir dans le lower east side assister au lancement du CD des asa ransom. Même si la découverte des coulisses de groupe (herbe, alcool, et encéphalogramme plat) avait un peu calmé mon enthousiasme originel, je dois dire que leur concert dans un lieu bien plus chic que prévu m’a encore bien fait danser. Article donc sur ces jeunes talentueux à venir pour en3mots. Vers la fin, il était six heures du matin et je me suis adonnée à mon vice préféré : lire en boîte. Et, comme une grande fille, je suis rentrée en métro, arrivant l’un dans l’autre à la page 108 de mon Makine et sans texto rassurant du genre “je suis saine et sauve à la maison” à envoyer. En amérique, on ne fait pas ces choses là. Bref, la liberté, si je ne m’étais pas faite chopper bêtement en écrivant ce texte qui a aussi ouvert mon msn et donc prévenu la moitié de Paris et un peu le campus de columbia que j’étais à la maison.

Demain sera studieux disons jusqu’à 20h : études, gym & Met (enfin on verra) puis après…

Vingt pieds sous terre tu « père » encore

Vendredi 16 janvier 2009

Le biographe de Maurice Sachs écrit à son père après et malgré la mort de celui-ci. Un roman court, vivant, immédiat et touchant de franchise.

Après la mort de son père, Henri Raczymow lui parle encore. Pour ressusciter leurs dialogues quotidiens, brefs, mais tellement nécessaires, au téléphone. Pour lui dire qu’il écrit ce livre et lui faire comprendre qu’il l’écrit comme il l’entend : c’est-à-dire comme une évocation puissante plus que comme un compte rendu fidèle de la vie de son géniteur.

Bien sûr le père d’Henri Raczymow est ce juif impressionnant, d’origine polonaise, qui a résisté à l’occupation allemande et survécu à la guerre. Mais son fils ne veut pas le décrire comme une figure écrasante. Loin d’être le père de la horde freudien, Etienne Raczymow est aussi un vieil homme malicieux, avec un corps. Ses radotages et ses heures passées aux toilettes à lire sont aussi présentes que ses idéaux sociaux et sa générosité filiale. Ecrit dans l’urgence, et comme nourri de la nécessité de prolonger un lien toujours trop brusquement rompu, ce petit roman a la force de ses maladresses, et le respect de ses impertinences.

En filigrane, on y découvre un autoportrait du fils, confronté au manque qui surgit brusquement, à tout moment de la journée, et à la difficulté de se voir soudain héritier financier d’un père communiste. Transformé en « nabab », Henri Raczymow peut se payer des déjeuners de Bourgeois Bohême pour continuer seul, au bord su canal St Martin les dialogues qu’il entretenait avec son père.

Difficiles, mais naturelles et dénuées du sentiment de culpabilité qu’on attendrait peut-être, ces conversations post-mortem ne font pas l’éloge d’un fantôme parmi les fantômes d’une famille décimée par la Shoah. Bien au contraire, elles sont ancrées physiologiquement dans un quotidien d’homme posé et lui-même vieillissant.

A mille lieues de la plombante « Lettre au père » de Kafka, « Te parler encore » est un entretien imaginaire et néanmoins terriblement vivant qui laisse même son droit de réponse au mort.

Henri Raczymow, « Te parler encore », Seuil, 13 euros.

« – Tu m’apporteras le livre quand on se reverra… C’est un livre sur quoi déjà ? – Je fais un livre sur toi, papa. – C’est vrai tu me l’as dit. J’oublie toujours ce qu’on me dit, de plus en plus, j’ai l’impression de me dégrader, d’aller vers… je ne sais pas quoi… Tu parles de ma Résistance ? De ma mère qui n’est pas revenue ? – Je vais forcément en parler, je ne sais pas encore comment. – Tu devrais écrire un vrai roman, au lieu de faire comme tu fais d’habitude… ce qui me manque le plus, tu ne me croiras pas, c’est la télé, c’était une bonne occpation, une agréable façon de… d’attendre la …- Mais si, je te comprends, papa, je te comprends parfaitement. Je te reçois cinq sur cinq. D’autant que moi aussi, comme toi… Comme beaucoup de gens finalement. » p. 25