Roman : Philippe Sollers, Les voyageurs du temps
Pendant que la plupart de ses contemporains courent et s’affairent, Philippe Sollers sait rester en méditation dans le 7 e arrondissement : il s’exerce au tir près de l’Eglise Saint-Thomas D’Aquin, fait bien sûr l’amour le plus discrètement possible, réfléchit sur les noms des rues, et de son bureau adoré chez Gallimard, il nous rapporte ce nouveau « roman », aussi touffu que séduisant.
Dans le nouvel opus de Philippe Sollers, les amateurs et amatrices retrouveront tout ce qui fait le charme puissant de l’écrivain à la fois romancier et essayiste : une culture encyclopédique transmise dans le plaisir, la coexistence pacifique du contemporain et du suranné, qui nous rappelle que le nouveau n’abolit pas l’ancien, et l’éloge d’une liberté aristocratique de mouvement et de pensée qui lave de la nécessité omniprésente d’une jouissance immédiate.
Dans « les voyageurs du temps », les sentiers romanesques ont mille tentacules. Sollers s’y met en scène : entrain de tirer au pistolet, de lire, de se promener, et d’entamer une liaison avec une maîtresse. Mais l’ancrage autobiographique s’arrête là. L’auteur laisse toute la place à ses nombreux maîtres : Dante, Rimbaud, Lautréamont, et Céline, bien sûr, mais aussi moins souvent présents dans les écrits de Sollers, les Allemands Hölderlin et Kafka. Suivant la voie rêvée par Walter Benjamin, c’est autour de leurs citations mélangées, compilées, et choisies comme des perles que Sollers développe sans fléchir ses réflexions sur le rapport au temps, au corps et à ses désirs, et de plus en plus, à Dieu en général plutôt qu’au catholicisme romain en particulier. Sur la route de ces idées qui ne cherchent pas l’originalité à tout crin, l’écrivain nous convie à relire avec lui les biographies des grands hommes honorés par des noms de rues dans Paris, à voyager dans le temps pour mieux connaître l’Histoire sur laquelle nos espoirs et nos convictions reposent, et nécessairement à lire ou relire dans une autre lumière des auteurs « classiques ».
La plume de Sollers n’a pas vraiment besoin de viser pour tirer juste, il lui suffit de suivre la pente naturelle de son écriture généreuse et sensuelle. Avant même d’envoyer, le voyageur enfin en repos dans un bureau a déjà touché son lecteur.
Philippe Sollers, Les voyageurs du Temps, Gallimard, 17,90 euros.
« Mozart a vingt ans, il n’en est pas à sa première messe, celle-ci est appelée la ‘grande’ parce qu’il y en a une autre, petite, du même nom. C’est très beau et très simple, emporté à toute allure, on sent que ce jeune homme a hâte d’en avoir fini ‘Credo’, d’accord, mais on expédie ça à cheval, au sable. Credo ! Credo ! Credo ! Déferlement et martèlement, c’est la charge de la brigade légère à travers les dévots et les anti-dévots, les effarés et les ralentis de tous les temps. Ils sont assis, agenouillés, figés, pétrifiés, cabrés, peu importe, la vague passe, elle est porteuse d’une liberté illimitée. C’est le contraire exact de cette magnifique chanteuse de jazz, Aretha Franklin, criant, avec ses chœurs de femme derrière elle, Freedom ! Freedom ! Freedom !, Credo libertaire ? Freedom totalitaire ? « Credo » est à la première personne dilatée, « Freedom » est communautaire, avec tonalité durcie, ex-soviétique, de rock et de meeting » p. 108-109
Et oui, ça ne se dit peut-être pas mais j’adore Sollers. L’auteur n’était pas vraiment au programme de la bibliothèque Shoah oriented de mon papa, et je l’ai donc “découvert” tard et la tête déjà pleine de préjugés. Comme beaucoup de jeunes femmes j’y suis venu pas sa femme qui m’avait infiniment aider à passer la crise des 17 ans. Et je dois dire que depuis sauf quelques exagérations (son Mozart avec lui en 4 e de couv sur le piano de Mozart), je prends un grand plaisir à le lire. Je rapporte le dernier Sollers comme un paquet de bonbons, je me mets au lit avec de la musique 18e et je rêve que la liberté responsable est moins blindée de culpabilité que je ne la ressens. Malheureusement je suis profondément démocrate et femme, donc casanovette de pacotille, mais quel plaisir de chausser pour quelques heures les Berluti d’un européen pour qui le savoir ne rend pas malheureux, bien au au contraire.