Archive pour 12 janvier 2009

Roman : Philippe Sollers, Les voyageurs du temps

Lundi 12 janvier 2009

Pendant que la plupart de ses contemporains courent et s’affairent, Philippe Sollers sait rester en méditation dans le 7 e arrondissement : il s’exerce au tir près de l’Eglise Saint-Thomas D’Aquin, fait bien sûr l’amour le plus discrètement possible, réfléchit sur les noms des rues, et de son bureau adoré chez Gallimard, il nous rapporte ce nouveau « roman », aussi touffu que séduisant.

Dans le nouvel opus de Philippe Sollers, les amateurs et amatrices retrouveront tout ce qui fait le charme puissant de l’écrivain à la fois romancier et essayiste : une culture encyclopédique transmise dans le plaisir, la coexistence pacifique du contemporain et du suranné, qui nous rappelle que le nouveau n’abolit pas l’ancien, et l’éloge d’une liberté aristocratique de mouvement et de pensée qui lave de la nécessité omniprésente d’une jouissance immédiate.

Dans « les voyageurs du temps », les sentiers romanesques ont mille tentacules. Sollers s’y met en scène : entrain de tirer au pistolet, de lire, de se promener, et d’entamer une liaison avec une maîtresse. Mais l’ancrage autobiographique s’arrête là. L’auteur laisse toute la place à ses nombreux maîtres : Dante, Rimbaud, Lautréamont, et Céline, bien sûr, mais aussi moins souvent présents dans les écrits de Sollers, les Allemands Hölderlin et Kafka. Suivant la voie rêvée par Walter Benjamin, c’est autour de leurs citations mélangées, compilées, et choisies comme des perles que Sollers développe sans fléchir ses réflexions sur le rapport au temps, au corps et à ses désirs, et de plus en plus, à Dieu en général plutôt qu’au catholicisme romain en particulier. Sur la route de ces idées qui ne cherchent pas l’originalité à tout crin, l’écrivain nous convie à relire avec lui les biographies des grands hommes honorés par des noms de rues dans Paris, à voyager dans le temps pour mieux connaître l’Histoire sur laquelle nos espoirs et nos convictions reposent, et nécessairement à lire ou relire dans une autre lumière des auteurs « classiques ».

La plume de Sollers n’a pas vraiment besoin de viser pour tirer juste, il lui suffit de suivre la pente naturelle de son écriture généreuse et sensuelle. Avant même d’envoyer, le voyageur enfin en repos dans un bureau a déjà touché son lecteur.

Philippe Sollers, Les voyageurs du Temps, Gallimard, 17,90 euros.

« Mozart a vingt ans, il n’en est pas à sa première messe, celle-ci est appelée la ‘grande’ parce qu’il y en a une autre, petite, du même nom. C’est très beau et très simple, emporté à toute allure, on sent que ce jeune homme a hâte d’en avoir fini ‘Credo’, d’accord, mais on expédie ça à cheval, au sable. Credo ! Credo ! Credo ! Déferlement et martèlement, c’est la charge de la brigade légère à travers les dévots et les anti-dévots, les effarés et les ralentis de tous les temps. Ils sont assis, agenouillés, figés, pétrifiés, cabrés, peu importe, la vague passe, elle est porteuse d’une liberté illimitée. C’est le contraire exact de cette magnifique chanteuse de jazz, Aretha Franklin, criant, avec ses chœurs de femme derrière elle, Freedom ! Freedom ! Freedom !, Credo libertaire ? Freedom totalitaire ? « Credo » est à la première personne dilatée, « Freedom » est communautaire, avec tonalité durcie, ex-soviétique, de rock et de meeting » p. 108-109

Et oui, ça ne se dit peut-être pas mais j’adore Sollers. L’auteur n’était pas vraiment au programme de la bibliothèque Shoah oriented de mon papa, et je l’ai donc “découvert” tard et la tête déjà pleine de préjugés. Comme beaucoup de jeunes femmes j’y suis venu pas sa femme qui m’avait infiniment aider à passer la crise des 17 ans. Et je dois dire que depuis sauf quelques exagérations (son Mozart avec lui en 4 e de couv sur le piano de Mozart), je prends un grand plaisir à le lire. Je rapporte le dernier Sollers comme un paquet de bonbons, je me mets au lit avec de la musique 18e et je rêve que la liberté responsable est moins blindée de culpabilité que je ne la ressens. Malheureusement je suis profondément démocrate et femme, donc casanovette de pacotille, mais quel plaisir de chausser pour quelques heures les Berluti d’un européen pour qui le savoir ne rend pas malheureux, bien au au contraire.

Retour en Engadin

Lundi 12 janvier 2009

Qui ne connaît pas l’Engadin ne me connaît pas vraiment. Les couloirs immuables de l’hôtel Suvretta où ma famille descend depuis soixante ans ont gardé l’empreinte de mes jambes potelées d’enfant. Ici, comme par magie, ma grand-mère, ma mère et même les moniteurs de ski citent sans discontinuer les paroles proverbiales de mon grand-père Nika. Il est mort il y a bientôt quatorze ans, plus de la moitié de ma vie à vivre sans lui et j’ai parfois l’impression que je vais pouvoir le trouver dans sa chambre pour lui montrer une de mes créations en papier faite au Kindergarten. Je suis trop vieille pour crayonner ou faire des colliers de pâtes, je n’écris même pas ici, et le temps est bientôt venu que ce soient mes enfants qui viennent voir mon père allongé dans les couettes blanches, avec la vue sur le lac et le soleil couchant d’Engadin. Mon seul amour, je l’ai emmené ici, quand Nika n’était déjà plus. Alors, pour oublier son absence toujours insupportable et l’idée mêlée de leurs deux immenses amours terminées alors qu’elles devaient être interminables, j’ai commencé par dormir beaucoup. 11 heures par nuit et quatre heures de sieste. Jusqu’à changer de tête. Et puis pour occuper l’ennui des matins que j’aurais bien passés sous la couette à lire, j’ai fait du ski au moins aussi bien que ma gazelle de mère, solide sur les pentes de neige profonde sur mes cuisses désormais très musclées. J’ai nagé, modérément, utilisé la gym et transpiré des litres au sauna au dessus de mon livre toujours sur le point de se rompre. J’ai d’ailleurs commencé une étude comparative de la solidité des reliures à 85 degrés. Gallimard tient à peine 5 minutes, que ce soir en collection blanche (Sollers, Cusset) ou en Folio (Bataille). Actes Sud est le grand vainqueur avec au moins un quart d’heure (Hella Hasse), devançant à peine les multiples livres de poche de Zweig de mes treize ans. Dans le sauna, depuis bientôt des lustres, je fais de belles rencontres. Celui qui est désormais mon père adoptif à New-York m’y a abordé il y a huit ans en me demandant puisque je lisais Godard par Godard (mauvaise note sur la colle des champs Flammarion) si j’étais française. Parisienne, même, terriblement. Cette année, la pêche a été bonne malgré le vide relatif de l’hôtel surtout peuplés de russes extrêmement vulgaire : un homme d’affaire berlinois un peu perdu que je viens de quitter à l’instant après un dernier verre dans le hall désert de l’hôtel, sous le lustre art nouveau du bar, où je lui ai offert mon attention et mon écoute à défaut d’une nuit de sexe dont je n’avais pas envie malgré ses pectoraux parfaits. Je suis tombée amoureuse pour la première fois ici, n’y ai jamais fait autre chose que voler des baisers dans des placards pendant d’infinis jeux de cache-cache et j’ai envie de rester vierge en Saint-Moritz. Innocente, éternellement, malgré les vols de chocolat, les effractions dans les cuisines et les tricheries sur les heures obligées de pentes verglacées. Toujours au sauna, qui est le lieu pivot de ma vie ici, j’ai aussi rencontré un couple de juifs de Sidney qui ont été soulagés de comprendre que je travaillais sur la conversion au christianisme sans me l’appliquer à moi-même. Et enfin, grand faible, un sénateur hollandais, cultivé, aux yeux plus bleus d’une belle journée au dessus d’un canal, et aux petits soins, malgré son âge doublant le mien. Bref, de belle discussions, encore approfondies avec ma mère sur les télésièges, mon cousin, au sauna ou en fumant nos cigares au bar, et ma grand-mère qui m’a raconté ses années de fête pendant la guerre, le rouge au joue et l’insouciance encore et toujours retrouvée. Ce soir, j’ai suivi mon nouvel ami berlinois au King’s, la boîte du Palace, qui est aussi ma première boîte de nuit à 16 ans. Colonisé par des russes au pommettes sculptées, et au seins dépassant de leurs top léopard, et même noyé dans de la dance eurotrash, le King’s a été une madeleine touchante. J’ai retrouvé le Dj à l’accent italien, les serbes en Odlo et les suisses allemands si beau et si peu sexys, en nage à cause de la danse, la chemise impeccable mais sortie du pantalon, et le pull beige en boule autour de la taille. J’ai à nouveau senti ce besoin de boire de l’eau après avoir dansé librement en botte plates et me foutant royalement de mes courbes d’autant plus voluptueuses qu’elles sont musclées au maximum et de mon peu de maquillage sur un visage régénéré par le soleil, la bonne eau et le sommeil. Je suis heureuse d’être seule avec Bach dans mon lit, pas même culpabilisée de travailler trop peu et prête à attaquer les pentes en hélico dans quelques heures avant de rentrer à New-York écrire ma thèse dans quelques heures de plus.