Archive pour janvier 2009

Les corps de New-York

Vendredi 30 janvier 2009

Hier, en sortant du sauna, j’ai eu une envie irrépréssible de Seitan, cette drôle de protéine d’origine végétale assez difficle à mastiquer. J’ai donc appelé Danny mon conseiller spécial es nourriture végétaliene et me suis régalée de légumes chez Gobo. En fait, privée de bon sancerre et de steack tartare je suis de plus en plus attirée par les mets dits “sains” dont la ville regorge : algues, quinoa, combucho (affreux thé moisi chinois aux vertus soit-disant purifiantes) etc… Et en bonne Française  attachée à son vin et son fromage, je me moque de moi-même en de pareilles occasions… Je me sens même légèrement ridicule. Et pourtant, je dois dire que je prend un plaisir non-feint à côtoyer en touriste ce monde fascinant qui veut conserver sa santé et s’économiser au maximum. Puis je me reprends, je me dis que c’est la meilleure façon de passer à côté de la vie en attendant (plus longuement, certes) de  mourir de quelque chose…

L’épicurienne vulgaire que je suis (je ne limite certainement pas les plaisirs non naturels et non nécessaires, ce sont ceux qui on le plus de goût) se heurte au même problème au cours de Yoga. J’ai une relation ambigüe à cet exercice qui me ressemble tellement peu (Mon truc c’est plutôt un bon body combat, des coups de pieds et poings dans tous les sens pour finir dans une flaque d’eau et retourner pleine d’adrénaline à mes livres). Mais comme disent nos amis allemands “wenn schon, denn schon”: si déjà je suis à New-York, je me suis fait un point d’honneur à essayer le sport cliché des locaux. Au-delà de la discipline qui- mal placée- me fait peur (la volonté est une chose effrayante, comme une machoire de chien qui ne pourrait lâcher prise), je dois dire que l’après-yoga ressemble fortement à l’apesanteur gorgée d’energie qui fait suite à l’orgasme. Un plaisir à prendre donc. Mais qui coûte cher. Le “tapis” du yogi me met systématiquement face à toutes mes contradictions, c’est-à-dire celle de l’esprit et du corps. Et plus l’esprit s’irrite de ne pas tordre les membres dans d’incroyables positions, plus le corps se bloque et perd l’équilibre. Le blabla qui m’aurait fait hurler de rire il y a six mois : être doux avec soi, répéter le mantra “je suis pleine et entière et belle dans un corps parfait et je me remercie moi-même de si bien travailler”, m’apporte fait beaucoup de confort. Il me détend et rend l’heure et demie de convulsions plus acceptable. Qui plus est, j’ai l’impression qu’on oublie pas. Je ne sais pas de quoi j’étais plus fière hier : avoir fini mon plan de thèse ou être parvenue après un mois d’arrêt à faire et refaire le poirier, le quasi grand-écart, ou passer mes bras autour des cuisses pour les enlacer. Il y a là une sorte de révalation que je ne veux pas trop voir car cela entraînerait des heures et des heures d’exercice et des complications très peu rationnelles. Mais plus j’avance et plus je m’éloigne des remèdes traditionnels utilisés dans la maison d’un chirurgien : aspirine, alcool iodé, antibiotiques et bistouri, pour soigner mes petits bobos physiques et moraux. Espérons que mon sens de la dérision ne me lâchera pas et que je ne finirai pas en pâture aux gourous. Mais ce qui me désespère, c’est que j’ai bien l’impression que le corps a une mémoire et une volonté propres et qu’il faut lui parler avec une douceur et un cucul-la-praline que je n’oserais même pas dispenser à un enfant en bas-âge.

Pour couper la poire en deux, sans me priver ni du yoga, ni du steack-frites, je crois bien que je vais mettre ma discipline et mon oreille intuitive au service d’une jolie cause : enfin apprendre à danser le tango. Après la gym (eh oui encore, je suis une junkie), ce soir, j’ai rejoint un ami complétement mordu à un bal où les couples dansaient avec grace. Tous mes souvenirs de Buenos aires me sont revenus avec violence et surtout celui-ci : l’idée géniale des latinos de ne pas morceler l’humanité en classe d’âge. En Argentine, comme à Bogota, les  enfants sortent avec leurs parents, qui se retirent vers les deux heures du matin après avoir dansé. Au bar de tango ce soir, les couples avaient parfois des dizaines d’années d’écart et c’était merveilleusement beau. Par ailleurs New-York oblige (il n’y a pas de société plus blanche et uniformément maigre et parfaitement stéréotypée que les gens de Buenos-Aires), il y avait aussi bien des russes que des argentins, des noirs, des jaunes et des blancs, des new-yorkaises en pantalon noir maigres à faire peur, et des portoricaines voluptueuses. Et aussi, incognito mais immédiatemment reconnue par deux petites parisiennes cinéphiles : Isabella Rosselini. Bref, j’ai un guide, sinon un professeur et devrais suivre mon faux premier cours de Tango (oui j’ai essayé en argentine et aussi sur les toîts de l’école Normale à Paris).

Playlist antifroid

Jeudi 29 janvier 2009

Bon on ne trouve pas tout sur Deezer et je reste fan de Pandora. Mais la pêche aux chansons a été bonne. Comme le reste.


Découvrez Keren Ann!

D’une toute petite voix

Mercredi 28 janvier 2009

“Mes amis, c’est le coeur serré que je vous dis qu’il faut cesser le combat”… spéciale dédicace à laurent C qui ne lira pas ce blog.

A deux heures quinze après avoir vidé quinze canettes de coca-light et finalement terminé le énième poème médiocre de la semaine, quelques nouvelles de New-York enneigé.

Au rayon des amitiés, comme d’habitude, je suis traitée en princesse orientale : Chester, mon ami architecte vernissait vendredi pour la première fois dans une galerie de Williamsburg. Ses parents étaient venus de Californie, et cela m’a fait plaisir de revoir sa mère si parfaite. Il était rayonnant dans sa chemise blanche dans la petite boutique d’art encombrée de cookies oréos et d’une foule sympathique. J’ai fait venir trois amis avec qui nous avons fini dans des litres de Bourgogne. Raphaël, rencontré lors de notre soirée du 31 décembre à Paris est le plus argentin des new-yorkais, un personnage à lui seul, qui mériterait une nouvelle par Franz Werfel ou Musil. Danny m’a sauvé la vie trois fois cette semaine, m’aidant à imprimer mes volumineuses notes de thèse dans son très chic bureau de la 5 e  avenue, en répondant à mon appel (“I feel like triple-shit”, en anglais dans le texte), en m’écoutant immédiatemment dans un bistrot japonais branché (ou je me suis saoulée au nippon-bellini) puis me conviant à chanter aussi bien “Paint it black” que les Spice girls dans un karaoké avec une foule d’siraéliens joyeux. Enfin, il m’a initiée à l’art subtil des textos en vers ce qui est à la fois très bon pour mon anglais et pour le repos de ma susceptibilité (je dois dire que je me lassais de ses messages du type “as tu bien bossé ton cul de super-saloooope” en sortant de la gym). Aujourd’hui, j’ai déjeuné- eh oui ça arrive – avec une femme, Raphaëlle qui a un cerveau et surtout un coeur en or. Et Aurore a débarqué chez moi ce week-end, égayant mes lectures morbides (je viens seulement de réaliser que je travaille depuis 5 ans sur des juifs morts et/ou traumatisés exclusivement). Enfin, égal à lui-même Arnon m’a permis de m’amuser comme une enfant devant un vieux film en noir et blanc, et m’a  encore bluffée par son accuité.

Au rayon des amours, Paris s’est invité à New-York et comme je l’ai dit à Arnon, c’est un champ de bataille que j’essaie de ne pas convertir en boucherie. Je me suis donc privée du confort d’un petit copain qui savait me dire que j’étais belle en suédois et en icelandais (langue encore plus laide que le suisse allemand) pour me morfondre entre la gym, le cours assommant d’hérmeneutique et mes notes de thèse sur le matelas de mon lit douillet. Au moins j’y suis inoffensive. Et je bosse. Banalité oblige : sans munitions de nouveaux livres à chroniquer, et l’âme et le corps en paix, je vais finalement peut-être l’écrire cette thèse.

Ma directrice arrive samedi, d’ici là, l’efficacité est de mise.

Finalement, je me demande si ce n’est pas fatigant de vouloir faire de chaque jour un quatorze juillet… Est-ce l’âge, une sagesse passagère ou une grande déprime que de pratiquer le boulot-métro-sport-diner-un cachet-et-au lit?

 

Lascia la spina

Mercredi 28 janvier 2009

Epaule rebelle

Apprends-moi la lenteur

Cache le chas des prunelles

Laisse-moi t’étendre en chantant

Attachant les doigts de la peur.

 

Sans un poinçon de sang

Je veux la paix du joueur

La peau-testament

M’attarder en fouillant

Les tarots tâtonnants

Et manger, maquerelle

La promenade des sueurs.

 

Bouche-ménestrel

Epelle-moi crus et sans gants

Les mots mauves et moussants

Apprends à mes bras laboureurs

L’attente du serpent

Sa nudité au goût de sel

.Et ses longs mouvements

Où s’émeraudent les heures.

 

La fessée viendra certainement

Ses fascinantes griffes de sœur

Fardant le dos de dentelles. .

 

Mais  viens, il est encore temps

Dans une bataille-lueur

De cheveux survivants

Etouffés de cannelle.

Apprends-moi en connaisseur

Le don sans divertissement.

 

Elève-moi loin

Echappe-moi en croyant

Refais-moi à nouveau enfant,

Apprends-moi la lenteur.

Merci Matthieu

Mercredi 28 janvier 2009

Je retranscris le texte de Matthieu Grimpret, paru dans le Monde du 27 janvier. Rien à ajouter. Si ce n’est que c’est mon ami, que je l’aime, et que je le remercie. Et que la liberté de son profond catholicisme m’émeut plus tous les jours.

J’ai honte d’être catholique”, par Matthieu Grimpret

Il y a dix ans, j’étais en train d’écrire un livre qui connut un certain retentissement et que certains ont même qualifié de “manifeste de la génération Jean Paul II”. Dans la fougue de mes 20 ans, je lui avais donné un titre un peu grandiloquent, La Révolution de Dieu, et un sous-titre sans ambiguïté : Jeune, catholique et heureux de l’être (éd. Anne Carrière, 2000).

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Dans ce livre, je dévoilais la joie qu’un jeune du XXIe siècle peut éprouver à découvrir que le Christ Jésus est proche de lui, partout et tout le temps. S’il fallait le réécrire, je le ferais sans problème – quoique avec moins d’ardeur, le temps ayant fait son oeuvre et douché maintes illusions…

Et pourtant, aujourd’hui, pour la première fois de ma vie de croyant, j’ai honte d’être catholique. Le pape Benoît XVI vient de mettre fin à l’excommunication qui touchait les quatre évêques schismatiques ordonnés par Mgr Lefèvre. A la rigueur, le principe de cette mesure où, d’après le Cardinal Ré, signataire du décret, le pape se montre “sensible, comme le serait un père, au malaise spirituel manifesté par les intéressés à cause de la sanction d’excommunication”, peut se comprendre. Il ne m’appartient pas d’en juger.

En revanche, je ne comprends pas – et c’est la raison même de ma honte – qu’on ouvre les bras à un homme, Mgr Richard Williamson, dont l’antisémitisme et le négationnisme sont désormais de notoriété publique, puisqu’il a déclaré, il y a peu, à une télévision suédoise : “Je crois qu’il n’y a pas eu de chambres à gaz (…). Je pense que 200 000 à 300 000 juifs ont péri dans les camps de concentration, mais pas un seul dans les chambres à gaz.”

C’est en effet très troublant. Peut-on croire que les services de la Curie romaine n’ait jamais eu vent des pensées et des propos douteux de ce prélat ? Si c’est le cas, on regrettera l’extraordinaire légèreté avec laquelle cette administration a agi, négligeant de se pencher sur les positions de Mgr Williamson concernant le judaïsme, domaine pourtant crucial puisque le judaïsme est, selon le pape lui-même, “la matrice éternellement vivante et valable” de la foi catholique. Et si la Curie romaine savait et a malgré tout oeuvré pour que soit levée l’excommunication de cet homme, il ne nous reste plus que nos yeux pour pleurer et nos prières pour supplier le pardon de Dieu.

Car, dans ces conditions, cela signifie que les analyses un peu faciles selon lesquelles le pape et son entourage ont décidé, au nom de la lutte contre le relativisme, de fermer les écoutilles et de ne plus prêter attention au monde qui les entoure – ces analyses ne relèveraient pas que du fantasme. Le pape est-il vraiment en train de faire reculer l’Eglise ?

Je suis un esprit libéral, certes, mais dans un corps conservateur ; l’obéissance à l’autorité légitime est pour moi une question de principe ; je crois avoir toujours fait preuve, en tant que baptisé, de la plus grande fidélité possible au Saint-Père ; je répugne même à critiquer en public les enseignements du magistère avec lesquels je suis en désaccord total – non parce que je n’en aurais pas le droit, mais parce que, dans mon esprit, le chef est le chef…

Mais là, désolé, non. Non possum.

Il me serait facile, et sans démagogie aucune, de mettre en balance le sort réservé à Mgr Williamson, négationniste affiché qu’on vient de rétablir dans la communion de l’Eglise, et celui des paroissiens de base, comme j’en connais beaucoup, qui sont divorcés-remariés et ne peuvent pas, eux, communier au corps et au sang du Christ. Le personnel de l’Eglise donne au monde la détestable impression que, pour les catholiques, il vaut mieux être antisémite que divorcé…

Depuis qu’il est arrivé sur le trône de saint Pierre, Benoît XVI a placé au coeur de son action pastorale la notion de “non négociable”, c’est-à-dire l’idée selon laquelle certains enseignements de l’Eglise, qui ne relèvent pourtant pas de la Révélation et du dépôt de la Foi, n’en constituent pas moins des pierres d’achoppement sur lesquelles il n’est pas possible de transiger. Il s’agit notamment de toutes les questions d’anthropologie, de morale sexuelle, de défense de la vie. A titre personnel, j’estime qu’il s’agit d’une fuite en avant de nature idéologique, à rebours de l’Evangile. Mais, après tout, qui suis-je pour juger les idées du pape…

En revanche, je crois être en droit de réclamer, comme beaucoup de catholiques, et pas uniquement les officines progressistes, une explication sur le point suivant : voter pour un candidat compétent mais qui refuse de s’engager contre la loi Veil, c’est non négociable ; par contre, rendre toute sa place à un évêque qui nie la Shoah et tient des propos inhumains, c’est tout à fait négociable – et ce au nom d’une unité qui, du reste, constitue un véritable leurre.

Eh bien pour moi, la Shoah, c’est non négociable. Et, dans les jours qui viennent, quand je serai amené, à travers mon engagement au service de l’amitié judéo-chrétienne, à rencontrer mes “frères aînés dans la foi” de l’Alliance israélite universelle ou de l’Union des patrons juifs de France, “je ne rougirai certainement pas du Christ”, comme le dit saint Paul – mais, oui, j’aurai honte d’être catholique.
Matthieu Grimpret est essayiste, professeur d’histoire, chercheur en théologie politique. Il est l’auteur de “La Révolution de Dieu : Jeune, catholique et heureux de l’être” et de “Dieu est dans l’isoloir”.

Matthieu Grimpret

Maman

Mardi 27 janvier 2009

Plus je vieillis
Plus c’est toi que vois
Mes jambes qui s’allongent
Mes cheveux fins
Et la ligne impeccable des doigts.

Petite déjà j’étais marquée :
Un grain dit « de beauté »
A la cuisse, sous l’endroit
Où j’agglutine pain et chocolat.

Dans le bain je t’observais,
Fière de notre intimité
Deux amies, entre adultes déjà
Fière que tu répondes si vrai
A mes millions de pourquoi
Fière de ta beauté, de toi,
De ton odeur de fée :
Laque, divers laits et eau de Rochas.

Je voulais te ressembler :
Pouvoir conduire, choisir, aider.
Savoir tout ce que tu savais
Et qui dépassait le plan fade
De ma chambre mal rangée
Où les cahiers me servaient
D’évasion à ce qui ne se faisait pas :
Danser, jongler, rire fort et se cogner.

Vivre était dangereux,
Tout mouvement, un faux pas.

Je te cherchais dans les livres
Que tu laissais sur mon lit trop étroit.
Parfois, tu les posais sur ma tête
Pour m’apprendre à marcher
Comme une jeune-fille bien élevée.

Bien se tenir était l’alpha
Le reste de l’alphabet était caché
Derrière la peur de devoir tout quitter
Dans l’angoisse sanglée d’un confort bourgeois.

Et pendant longtemps, grâce à ta joie
Je ne me suis pas doutée
Combien être une femme est compliqué
Comme on est seule dans l’ombre
Comme il faut retenir sa voix
Combien les codes sont torturés
Et comme il faut mentir et gratter
Pour voler son bonheur en restant soi.

C’est-à-dire : une somme d’amour empilée
Un ver de terre qu’on peut briser,
Et qui ne doit pas aimer au-delà
De la limite fixée :
Vérifier dans son ventre l’inespéré,
« Je suis là ».

Mes frères sont des petits-fils de héros
Je devrais être un pilier en bas de soie.

Mais la mémoire s’est faite chair
Mon corps ne m’appartient pas.
Et plus je vieillis
Plus j’espère que c’est toi que je vois
Quand sur tes jambes effilées
Je repars livrer cet impossible combat :

Tenir le moral tout droit
Et achever ce qui leur a été enlevé
Dans la neige, la faim, et le froid.

Vigidités

Vendredi 23 janvier 2009

Licencieuse paralysie

Où la peur vient étrangler

Les morsures de l’envie.

Je sais dire non,

Mais pas d’emblée.

La gamine de granit

Est trop éprouvée pour ceci :

Recommencer

Corps et bouche liés

Mentir le jeu,

Le manège enneigé

Où l’amitié  fane sans ses fruits.

Mes jours sont rongés

Qui voudra m’épeler

La peau gracieuse de la vie ?

Gratter les nombreux souliers

Salissant les trahis?

Rendrez-vous le blanc effronté

A la veuve des « et puis ? »

Epuisée, quoi de mieux ?

Rature, inanité, ennui

Le bonheur est poreux

Quand le biais est mal pris.

Je fonds à nouveau

Pour les faiblesses aguerries,

De ceux qui savent regarder

Obliquement

Le miel et le céleri.

Banalités !

Ce qu’exigent les esprits :

Je survivrais,

Femme enfin accomplie.

Si la solitude se fait chapelet

Libérant l’empathie

Pour laisser place au vrai :

L’enfermement d’une famille.

Cinq raisons de passer à côté de l’Obamamania

Mercredi 21 janvier 2009

Heureuse de participer à la liesse populaire du 4 novembre dernier, aujourd’hui je suis restée terrée chez moi, évitant inconsciemment la grosse bertha médiatique sur le campus de Columbia. J’ai fait une percée vers 14h pour aller chercher des livres et suivre un cours. Filé à la gym, où je n’ai pas pu éviter les grands écrans plats. Et ce soir, au lieu d’Obamadanser la sarabande, nous avons fini dans un bar lounge sympa du Lower east side. Conclusion : Pas de grand reportage photo sur les new-yorkais en goguette dans en3mots demain. Reste une question : Pourquoi ne pas me réjouir avec un peuple que j’aime ?

Raison psychologique : Je déteste les mouvements de foule. Du dehors, ils font plus que me dégoûter, ils me font peur. Surtout si c’est une foule qui jouit. Et à l’intérieur des masses festives, je pique généralement de monstrueuses crises d’angoisse. A cela s’ajoute une grosse flemme d’acclamer l’investiture dans des bars bondés où l’on joue du mauvais rock, ou de grimper jusqu’à Harlem.

Raison empathique : Tout ce bonheur est un peu un cautère sur une jambe de bois. Les jeux sans le pain me semblent tout juste cruels. Et je ne peux m’empêcher de penser aux gens seuls et à contre-courant au milieu de l’explosion populaire. Evidemment, la gare d’Orsay après la libération de Paris, mais aussi, moins dramatique, le héros du « Diable au corps » à l’heure de l’armistice.

Raison littéraire : La rhétorique d’Obama me crispe. Toutes ces grandes envolées larmoyantes, parsemées de références aux « Grands hommes » sur le courage de se battre contre l’adversité économique sont aussi vides que les promesses intenables de son programme. C’est pédant et démagogue à la fois.

Pour ma gouverne, je n’ai pas tout écouté aujourd’hui et peut-être aurais-je été agréablement surprise d’être émue. Mais je crois que mes dents grinçaient trop d’office pour me laisser emporter par les tremolos du bal.

Raison historique : Les commentaires des journalistes étaient évidemment encore plus horripilant. Qu’on ne me parle plus d’Histoire, de moment Historique, avec des « H » si majuscules qu’ils en deviennent dangereusement tranchants. Les quadragénaires ultratirées et brushinguées ne sont que des « senior » journalistes, pas des historiennes du présent. L’Histoire est probablement à venir dans ce que Obama va faire, impulser, changer, pas sa simple investiture.

Raison esthétique : Autant le nouveau président était élégant, et presque un peu moins effrayant de maigreur et de fatigue, autant Michelle Obama ne sait toujours pas s’habiller. Qui lui a conseillé cet ensemble jeune d’œuf sur poussin écrasé avec une patine brillante de coquille ? Cuicui.

Chloé Delaume ouvre à nouveau le caveau familial

Mardi 20 janvier 2009

L’auteure du “Cri du sablier” est de retour avec un roman gothique et visceral où le linge sale familial s’expose au cimetière. Expérimentale, toujours, Chloé Delaume (alias Nathalie Dalain dans la vie) veut tuer sa grand-mère par le biais d’un roman.

Coup de théâtre dans l’œuvre autofictionnelle de Chloé Delaume. Passé trente ans, le personnage apprend que sa scène originelle (son père a tué sa mère et s’est suicidé sous ses yeux quand elle avait dix ans) n’en est peut-être pas une puisqu’elle apprend par une cousine que son père n’était pas son père. Elle en veut mortellement à sa grand-mère, cette femme froide qui ne pensait qu’à se faire les ongles le jour de l’enterrement de sa mère, de lui avoir caché ce secret. Elle lui en veut tellement qu’elle voudrait la mettre à mort à travers ce roman.

Initialement « Dans ma maison sous terre » devait s’appeler « Le livre des morts ». Et, de fait, tout se passe dans un cimetière, où Chloé entretien de longues conversations avec Théophile, écrivain raté et romantique nécrophage. Gothique, adolescente encore à 35 ans et irrésignée, Chloé estime qu’il est scandaleux de cacher aux vivants ce qu’il advient du corps des morts. Alors, elle gratte la terre avec sa plume tout au long de ce roman, déterrant les paisibles morts des autres et ceux de sa famille. Une expérience qu’elle veut limite, comme toutes ses transgressions littéraires et qui la met à nouveau face au plus grand danger : la folie, l’hôpital psychiatrique et donc le discrédit alors qu’elle veut crier, s’exposer, se faire entendre. L’assassinat est la seule voie possible. Mais le mort qu’il faut n’est peut-être pas la vieille grand-mère médiocre…

Fascinant, ce roman l’est bien sûr par sa cruauté, et sa violence d’un face à face avec la folie et la mort que seule l’écriture peut soutenir. Mais encore plus intéressant et le jeu de l’autofiction, où le texte déborde dans tous les sens. Truffé de citations (Jean-Jacques Schuhl, Jacques Lacan, Henri de Montherlant et Sacha Distel), d’hypothèses (Qui est son vrai père ? Comment a eu lieu la conception ? Est-elle le fruit d’un avortement raté ? Sa mère a-t-elle passé un pacte avec l’homme qui l’a élevée jusqu’à dix ans ? Quel est l’avenir de l’édition du livre ?), et d’intertextes (Vian, Semprun, Darrieussecq et nombre de contemporains de Chloé), « Dans ma maison sous terre » continue sur le site de l’auteure sous forme « requiem expérimental » composé par Aurélie Sfez.

Chloé Delaume, « Dans ma maison sous terre », Seuil, 17 euros.

« Sur la paroi de mon cerveau, la sueur glisse, une honte au rabais. Plus je réfléchis au-dedans plus je me sens graine de fatum, pourriture au creux du ventre, le témoin licencieux d’une ironie tragique qui ferait de moi l’innocent coupable. Fruit de la guigne et du travail d’un homme. Je suis la plaie de ma famille. Je refuse de cicatriser » p. 87

Livre : Makine retourne en URSS

Lundi 19 janvier 2009

Le dernier roman d’André Makine confronte la Russie d’aujourd’hui et celle de la période soviétique. Un auteur russe exilé à Paris revient dans un St Petersbourg bouillonnant pour son tricentenaire et retrouve sous le vernis moderne et capitaliste les blessures profondes de l’URSS.

La Russie est une Atlantide souvent magnifiée en objet littéraire par ses auteurs en exils. C’est Tchékhov, bien sûr, mais aussi les samzdat, Nabovov et l’Archipel du Goulag. Exilé depuis de longue années à Paris où il vivote de son art d’écrivain raté et se nourrit de son mépris pour la littérature contemporaine, Choutov chérit une image distordue, de sa Russie natale. Quinquagénaire, il partage cette image figée de sa patrie avec Léa, une jeune provinciale ambitieuse montée à Paris. Lorsque Léa le quitte, Choutov n’arrive pas à se remettre de cette mort annoncée d’un amour faussé. Il décide alors de retourner dans son pays pour y retrouver sa première flamme, Iana.

Mais il tombe dans un St-Petersbourg en pleine effervescence, fêtant avec tambours et beaucoup de mauvais goût son tricentenaire. La jeune adolescente timide qu’il avait laissée pour fuir à Paris s’est transformée en parfaite capitaliste, dents longues, apparence parfaite, et débordements postmodernes à la clé. Choqué et amusé par ce nouveau pays où il ne retrouve ni ses marques, ni sa jeunesse, il rencontre par hasard dans l’appartement de Iana Volski, un vieil homme apparemment sourd et muet, que la jeune-femme envoie à l’hospice pour récupérer tout l’espace. Lors d’une veillée devant la télé, Volski se met à parler et transmet à Choutov en quelques heures l’histoire d’une vie banale et terrible à la fois : front russe, famine, hécatombes et goulag ont été le quotidien de cet homme soviétique comme les autres. Mais un amour profond a éclairé son ciel sans Dieu et sans idéal. Le pèlerinage de Choutov (qui veut dire Clown en russe) lui permet de découvrir une réalité russe qu’il n’attendait pas, bien moins littéraire et bien plus vivante que ce qu’il attendait. Mises en perspective, les amours malheureuses de l’écrivaillon russe-parisien semblent dérisoires.

Déroutant par sa structure le récit commence par se pencher sur la vie vide de Choutov pour nous emmener plus tardivement vers son cœur battant : « La vie d’un homme inconnu » en Russie soviétique. Avec intensité et simplicité, on y apprend que malgré la faim, l’injustice, et même la mort banalisée, un homme peut-être plus heureux dans un goulag à regarder vers le ciel pour y communier avec son amour que dans un salon au chaud à regarder la télé et les millions de possibilités de jouissances qui s’offrent à lui. Immense styliste, Makine mêle empathie, pudeur, et humour dans ce très beau roman. Peut-être suggère-t-il un fil rouge de continuité historique dans cette fameuse « âme russe » qui est entrain de se perdre dans l’orgie d’un peuple affamé de biens matériels. Mélancolique, grave, et passionnée, cette âme a peut-être su quitter les saynètes provinciales de Tchékhov et survivre au régime stalinien. Elle aurait continué à fouiller au-delà des apparences et des idéaux trahis pour garder l’humain en l’homme, malgré tout.

André Makine, « La vie d’un homme inconnu », Seuil, 21 euros.

« ‘ Vous savez, je n’en veux pas à votre amie Iana, dit le vieillard et il repose sa tasse sur la table de nuit. Ni aux autres, non plus. Ce qu’ils vivent après tout n’est pas enviable. Vous imaginez, il leur faut posséder tout cela !’

Sa main fait un large geste et Choutov voit clairement que ce ‘tout cela’ c’est le nouvel appartement de Iana mais aussi ce long écran du téléviseur et ce reportage sur l’élite russe installée à Londres, leurs hôtels particuliers et leurs résidences de villégiature, et ce cocktail où ils se retrouvent entre eux, et toute cette nouvelle façon d’exister que Choutov ne parvient pas à comprendre.

‘Nous avons eu finalement une vie si légère ! dit le vieil homme. Nous ne possédions rien et pourtant nous savions être heureux. Entre deux sifflements de balles, en quelque sorte…’

Il sourit et ajoute sur un ton de boutade : ‘Non mais regardez ces pauvres gens, ils souffrent ! » p. 276